Dynamique de la corruption au Niger
1.1 Quelques éléments de la problématique générale
Tous les documents de portée stratégique, dans la perspective de lutter contre la pauvreté, de promouvoir et d’impulser le développement économique et social du Niger, ont systématiquement identifié et stigmatisé la corruption comme étant un fléau endémique au Niger. Facteur important, pervers et néfaste, la corruption est négativement corrélée à la bonne gouvernance économique, administrative et politique du pays.
Au Niger, de nombreux facteurs contribuent à affaiblir la gouvernance, notamment : i) les crises politico-institutionnelles récurrentes ; ii) l’instabilité des institutions et de leurs responsables ; iii) l’insuffisance des moyens humains, matériels et financiers; iv) la concentration des centres de décision dans la capitale et la fragmentation des responsabilités sectorielles, couplées aux insuffisances de la communication et de la circulation des informations au sein des services publics ; et v) l’opportunisme, le favoritisme et la corruption généralisés au sein de l’administration et le caractère politique de l’attribution des hautes responsabilités.
En raison notamment de ces déficits dans la gouvernance, la corruption est devenue un fléau endémique au Niger. En effet, on note à travers les études menées, que la forte récurrence des comportements corruptifs a fini par banaliser le phénomène et même à entraîner une certaine contagion dans tous les compartiments de la vie socio – économique, politique, administrative et culturelle du pays.
Selon l’indice de perception de la corruption de Transparency International (IPC), le Niger est classé 101ème sur 177 pays classés dans le monde en 2016. Cette position place le pays un peu au-dessus de la médiane par rapport aux pays africains, où il se classe 15ème sur 54 pays enregistrés avec un IPC de 3,6 légèrement au-dessus de la moyenne africaine qui est 3,19. Comparativement aux pays membres de l’UEMOA, le Niger se classe devant le Togo, le Mali, la Côte d’Ivoire et la Guinée Bissau. Il est derrière le Sénégal, le Burkina – Faso et le Benin.
1.2 Perception de la corruption et pratiques corruptives
Dans le cadre du processus d’élaboration de la présente stratégie, une enquête a été conduite dans les huit (8) chefs – lieux de région du Niger sur un échantillon de 1437 individus appartenant à plusieurs secteurs socio – économiques : opérateurs économiques, administration publique, administration communale, entreprises et établissements publics, projets de développement, organisations de la société civile, leaders communautaires (chefferie traditionnelle et leaders religieux), politiciens et autres. L’analyse des données collectées a été réalisée selon une approche descriptive de la perception de la population enquêtée sur un ensemble de dimensions qui incluent : la perception de l’étendue de la corruption, les pratiques corruptives, les secteurs les plus affectés par la corruption, les principales causes de la corruption, les effets de la corruption.
1.2.1 Étendue de la corruption
L’enquête conduite dans le cadre du processus d’élaboration de la SNLC a relevé que 85,66% des répondants perçoivent que la corruption est très fortement accentuée au Niger. Il se présente une quasi-unanimité dans toutes les régions du pays où le niveau de cette perception varie de 72,49% à Niamey à 92,43% à Zinder. De plus les différents groupes enquêtés partagent largement et avec une forte intensité cette perception dont le niveau varie de 70,16% chez les politiciens à 97,06% au niveau des agents des projets de développement.
Tableau 1 : Perception de l’étendue de la corruption par région
Très faible | Faible | Modérée | Forte | Très forte | |
Niamey | 0,87% | 0,87% | 5,24% | 20,52% | 72,49% |
Zinder | 0,00% | 0,00% | 0,0 | 7,57% | 92,43% |
Tillaberi | 0,00% | 0,00% | 5,11% | 9,09% | 85,80% |
Tahoua | 0,00% | 0,00% | 3,31% | 12,1% | 84,53% |
Maradi | 0,00% | 0,00% | 1,39% | 8,33% | 90,28% |
Dosso | 0,00% | 0,00% | 0,45% | 8,14% | 91,40% |
Diffa | 0,00% | 0,00% | 0,00% | 15,75% | 84,25% |
Agadez | 0,00% | 0,00% | 6,32% | 6,90% | 86,78% |
Tableau 2 : Perception de la corruption selon les catégories socio-économiques et professionnelles
Très faible | Faible | Modérée | Forte | Très forte | |
Opérateurs Privés | 0,38% | 0,38% | 2,27% | 8,52% | 88,4% |
Administration publique | 0,00% | 0,00% | 4,55% | 11,72% | 83,73% |
Administration communale | 0,00% | 0,00% | 0,00% | 9,91% | 90,09% |
Entreprises et établissements | 0,00% | 0,00% | 0,00% | 5,00% | 95,00% |
publics | |||||
Projets de développement | 0,00% | 0,00% | 0,00% | 2,94% | 97,06% |
OSC | 0,00% | 0,00% | 0,00% | 11,46% | 88,54% |
Chefs traditionnels | 0,00% | 0,00% | 0,00% | 26,32% | 73,68% |
Chefs religieux | 0,00% | 0,00% | 0,00% | 8,89% | 91,11% |
Politiciens, Députés, Conseillers municipaux | 0,00% | 0,00% | 8,06% | 21,77% | 70,16% |
Autres | 0,00% | 0,00% | 0,00% | 8,70% | 91,30% |
A la lumière de ces données, il se dégage une perception quasi-unanime sur le caractère fortement répandu de la corruption et cela, dans tous les secteurs de la gouvernance économique, administrative, politique, judiciaire, etc.
1.2.2 Pratiques corruptives
i.) Appréciation des pratiques corruptives
Les pratiques de corruption sont devenues des faits de société qui touchent tous les secteurs du développement socio – économique du Niger. Elles sont assez diversifiées dans leur nature. Cependant, il apparaît, selon les données collectées dans le cadre du processus d’élaboration de la SNLC que le trafic d’influence, le favoritisme, les fraudes, les commissions, les pots de vin et l’extorsion, constituent les pratiques les plus répandues.
Le tableau suivant donne l’appréciation générale sur les pratiques corruptives au Niger et par région.
PRATIQUES CORRUPTIVES | RÉGIONS | SCORE MOY | |||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Agadez | Diffa | Dosso | Maradi | Tahoua | Tillaberi | Zinder | Niamey | ||
Favoritisme | 4 | 4,5 | 4,25 | 4,5 | 4 | 4,5 | 4,25 | 4,75 | 4,34 |
Trafic d'influence | 4,25 | 3,75 | 4 | 4,25 | 3,75 | 4 | 4,5 | 4,75 | 4,16 |
Fraude | 4 | 3,5 | 4 | 4,5 | 4 | 3,75 | 4,5 | 4 | 4,03 |
Commission | 4 | 4,75 | 4 | 4,5 | 4 | 3,75 | 4,5 | 4 | 4,03 |
Pot de vin | 4 | 3,25 | 4 | 4,5 | 3,75 | 4 | 3,5 | 4,75 | 3,97 |
Extorsion | 3,75 | 3,75 | 4 | 3,75 | 3 | 3,75 | 4 | 4 | 3,75 |
Concussion | 3 | 2,75 | 4 | 4 | 3 | 3,25 | 4,5 | 2,75 | 3,41 |
Tribut | 4 | 2,75 | 2,75 | 3 | 3 | 3,5 | 3,25 | 4 | 3,28 |
Rétribution d'un service public | 3 | 2 | 3 | 3 | 2,5 | 3 | 3,75 | 3,75 | 3,00 |
Détournement | 3,75 | 2,25 | 2,5 | 3 | 3 | 2 | 4 | 2,5 | 2,88 |
Gratification | 1,25 | 1 | 1,75 | 1,75 | 1 | 1,75 | 2 | 3,75 | 1,78 |
Tableau1: Source: Données d’enquête sur la perception de la corruption dans les huit (8) régions du Niger
- Secteurs les plus affectés
Sur la base des données collectées, le secteur public est considéré comme le secteur le plus affecté par la corruption, suivi des organisations politiques et des organisations de la société civile (OSC).
En dépit de quelques organisations qui œuvrent avec plus ou moins d’efficacité contre la corruption au Niger, ce sentiment quasi général traduit une situation dans laquelle les acteurs qui doivent être les véritables remparts contre le fléau de la corruption, sont perçus comme les animateurs de l’essentiel des pratiques corruptives au Niger. Notons par ailleurs, que la perception vis-à-vis de la chefferie traditionnelle, même si elle est plutôt modérée en termes d’acteurs dans le jeu de la corruption, reste très inquiétante d’autant plus que les leaders traditionnels sont les dépositaires des valeurs culturelles, coutumières et morales de notre société.
Sur une base régionale, aucune disparité n’est observée, quant à la perception du secteur public comme étant le secteur le plus affecté par la corruption, avec un niveau d’intensité très élevé. Les organisations politiques enregistrent un niveau de perception élevé dans toutes les régions du pays, à l’exception des régions de Tahoua et de Tillabéri qui affichent une certaine modération. Les organisations de la société civile sont généralement perçues comme étant modérément affectées par la corruption à l’exception des régions de Tahoua et de Tillabéri où elles sont perçues comme étant faiblement affectées. Le secteur privé est quant à lui, diversement perçu avec cependant une perception plus affirmée à Niamey, mais modérée. Dans les autres régions le niveau de perception varie de faible à très faible. Enfin, les points de vue restent globalement modérés, concernant la chefferie traditionnelle.
Le tableau ci – dessous donne la répartition de cette perception aussi bien globalement que par région.
SECTEURS LES PLUS CORROMPUS | Agadez | Diffa | Dosso | Maradi | Tahoua | Tillaberi | Zinder | Niamey | SCORE MOYEN |
Secteur Public | 5 | 5 | 5 | 5 | 5 | 5 | 5 | 5 | 5 |
Secteur Privé | 2 | 1 | 1 | 2 | 2 | 1 | 2 | 3 | 1,75 |
Organisations de la société civile | 3 | 3 | 3 | 3 | 2 | 2 | 3 | 3 | 2,75 |
Organisations politiques | 4 | 4 | 4 | 4 | 3 | 3 | 4 | 4 | 3,75 |
Chefferie traditionnelle | 1 | 2 | 2 | 3 | 2 | 3 | 2 | 2,25 |
Tableau 2: Source : Données d'enquête sur la perception de la corruption dans les huit (8) régions du Niger
iii. Démembrements du secteur public les plus affectés
Si à l’unanimité le secteur public est perçu comme étant le secteur le plus affecté par la corruption, il apparaît que ses différents démembrements ne sont pas logés à la même enseigne. Ainsi, dans ce secteur, les services des douanes (87,36%), les services des impôts (84,48%), les services de police (83,33%) les services de passation des marchés (82,18%), la gendarmerie (78,74%), les services éducatifs (78,16%), les services municipaux (77,01%), le Trésor Public (74,14%), l’administration des ressources financières et du matériel (71,84%), et la justice (71,26%), sont largement perçus comme étant les démembrements les plus fortement affectés par le phénomène de la corruption. Ensuite viennent dans l’ordre de perception, les services de santé (64,37%) et les autres (41,66%).
TABLEAU 3 : Perception de la corruption dans les démembrements du secteur public
Démembrement de l’Administration Publique | Perception en % |
Autres | 41,66% |
Santé | 64,37% |
Justice | 71,26% |
Administration des ressources financières et du matériel | 71,84% |
Trésor Public | 74,14% |
Services municipaux | 77,01% |
Education | 78,16% |
Gendarmerie | 78,74% |
Passation des Marchés Publics | 82,18% |
Police | 83,33% |
Services des impôts | 84,48% |
Services des Douanes | 87,36% |
Source: Données d’enquête sur la perception de la corruption dans les huit (8) régions du Niger
L’analyse des résultats de cette étude met clairement en évidence que le phénomène de la corruption a largement gangrené la plupart des services publics qui ne répondent plus aux aspirations légitimes des populations qui sont pourtant sensées êtres les principaux bénéficiaires. Ces résultats confirment ainsi, la contribution significative des pratiques corruptives dans le faible accès aux services publics par les populations en général et même dans la qualité des prestations offertes par les différents démembrements du secteur public. En effet, l’accès aux services publics de qualité tend à se subordonner à la propension des utilisateurs de ces services à s’acquitter des paiements indus aux agents chargés d’accomplir les prestations demandées.
I.3 Principales causes de la corruption au Niger
En dépit du processus de démocratisation de la vie politique, la mise en œuvre de programmes d’appui à la bonne gouvernance, l’existence et le renforcement des institutions de régulation et de contrôle, le rôle de plus en plus croissant de la société civile et l’adhésion du pays à plusieurs conventions internationales, la corruption est toujours un phénomène préoccupant au Niger. Cependant, en raison de la nature complexe du phénomène, il semble difficile, voire impossible de déterminer toutes les causes de ce phénomène. Mais, sur la base d’une revue de littérature en la matière et des résultats enregistrés lors de l’enquête menée dans le cadre du processus d’élaboration de la présente stratégie, les principales causes évoquées sont liées à une forte politisation de l’administration publique; aux dysfonctionnements de l’administration publique (absence de contrôles efficaces); aux faiblesses du système judiciaire (faibles capacités en matière de détection, prévention et répression de la corruption ; non – application des lois); à la faiblesse des rémunérations dans le secteur public ; à une perte des valeurs civiques et éthiques dans l’administration publique et dans la société en général et enfin, à la faiblesse des mécanismes institutionnels de suivi et de gestion de la lutte contre la corruption.
I.3.1 Forte politisation de l’administration publique
Cette forte politisation de l’administration publique nigérienne est caractérisée par: — les multiples interférences politiques pour le positionnement et la promotion des cadres, créent des relations de redevabilité des agents publics vis à vis des parrains politiques qui exercent sur eux des pressions dans l’exercice de leurs fonctions. Les nominations et l’allocation des ressources humaines basées sur l’appartenance politique conduisent indubitablement à la négation du mérite, à la dégradation de la déontologie professionnelle, à des structures organisationnelles inopérantes, à l’indiscipline des agents et à l’impunité aussi bien sur le plan disciplinaire que judiciaire ;
— une insuffisance de volonté politique dans la lutte contre la corruption. Cette insuffisance se traduit dans les faits par un décalage entre la volonté politique affirmée dans les discours officiels et les réalités du terrain. Les options institutionnelles adoptées et mise en œuvre ainsi que les statistiques judiciaires sont loin de démontrer que l’État est résolument engagé dans la lutte contre la corruption. Des structures organisationnelles et administratives de lutte contre la corruption sont effectivement mises en place, mais elles contiennent dans leur constitution les germes de leur inefficacité. Sur le plan judiciaire, les mesures de répression pour corruption restent des actes d’une grande rareté ;
— une absence de transparence dans le financement des partis politiques : En dépit de l’existence de plusieurs instruments juridiques y relatifs (constitution, code électoral, charte des partis politiques, etc.), on assiste inéluctablement à des transactions de nature corruptive entre les pourvoyeurs de fonds destinés au financement des partis politiques et les responsables des partis politiques. Les fonds injectés lors de ces transactions constituent un investissement de corruption qui crée des rapports d’obligations réciproques. Le retour sur investissement attendu, affecté d’un coefficient multiplicateur très élevé, est toujours réalisé au détriment de l’État et de l’intérêt général ; — une forte propension des agents de l’État à l’enrichissement rapide. Ces derniers sont poussés par la recherche d’un meilleur statut social (positionnement social) ;
— des faibles capacités des organes de contrôle et de régulation. Ces organes sont caractérisés par un manque d’autonomie et un personnel peu qualifié.
— une forte allégeance politique des organisations de la société civile. Cette situation limite leur objectivité dans la perception des pratiques corruptives, la dénonciation, les analyses et la lutte contre la corruption ;
–la banalisation du phénomène de la corruption qui favorise un comportement plus tolérant vis-à-vis de la corruption, voire son acceptabilité.
I.3.2 Dysfonctionnements techniques et administratifs
Ces dysfonctionnements de l’administration publique se traduisent par: — la lourdeur et la complexité des procédures administratives, la lenteur dans les prestations de service public, le déficit ou l’asymétrie d’information sur les services publics et sur les modalités d’accès à ces services, la centralisation excessive de l’administration publique provoquant de nombreux déplacements des usagers pour le règlement de leurs problèmes, l’opacité dans la gestion des affaires publiques, notamment dans les processus décisionnels, le pouvoir discrétionnaire très important de certains cadres sur les processus décisionnels, l’absence de règles et procédures claires et de code d’éthique professionnelle et de déontologie dans l’administration publique, l’absence d’une définition de profil de postes et de plan de carrière devant servir de base aux nominations dans la fonction publique.
— la peur d’être marginalisé par ses collègues et même sanctionné par sa hiérarchie administrative en optant d’être intègre;
— le bas niveau de rémunération des agents publics face à des besoins sans cesse croissants.
I.3.3 Faiblesses du système judiciaire — le dysfonctionnement du système judiciaire caractérisé par la lenteur judiciaire et l’imprévisibilité des décisions de justice, les conditions difficiles d’accès à la Justice, l’impunité, etc.
— le dispositif de répression de la corruption actuel ne dissocie pas le sort du corrompu de celui du corrupteur. Cette situation crée une solidarité de fait entre les parties prenantes à la corruption qui sont liées par une sorte de pacte secret et dans une certaine mesure par une convergence d’intérêt.
— une faiblesse des capacités à la prise en charge judiciaire des infractions de corruption en raison des déficits dans les dispositions juridiques nationales existantes et de la méconnaissance des instruments internationaux de lutte contre la corruption.
— une faible coordination des organes de la lutte contre la corruption et une absence d’instruments de suivi régulier des pratiques corruptives. I.3.4 Facteurs éthiques et culturels — la perte des valeurs morales et l’incivisme à tous les niveaux. Ces défaillances ont engendré un environnement administratif plus permissif vis à vis de la corruption et qui a tendance à exonérer corrompus et corrupteurs.
— l’acceptation culturelle de la pratique des dons qui a été pervertie et utilisée comme instrument de la corruption.
— les liens traditionnels de solidarité au sein de la famille, de la communauté et au sein de la société en général, sont utilisés hors de leur contexte pour promouvoir le favoritisme au sein de la société comme pratique corruptive.
Il convient de noter qu’en général, les causes de la corruption relèvent d’un déficit de la gouvernance politique et administrative, des dysfonctionnements de plusieurs ordres du système technico – administratif et de la perversion de certaines pratiques traditionnelles (coutumières) et culturelles. En effet, « la corruption fleurit lorsque les institutions gouvernementales sont faibles, que les politiques et les règlements de l’État lui donnent le champ libre, et que les institutions de surveillance (le parlement, l’appareil judiciaire, la société civile) sont marginalisées ou elles-mêmes corrompues. Elle tend particulièrement à survenir dans l’interaction entre les secteurs public et privé. Les causes de la corruption sont avant tout contextuelles, enracinées qu’elles sont dans l’évolution politique d’un pays, son évolution judiciaire, son histoire sociale, ses traditions bureaucratiques, ses conditions et politiques économiques« 1.
I.4 Principaux effets de la corruption
Toutes les réflexions menées à ce sujet ainsi que les études conduites mettent en évidence que la corruption constitue un véritable frein au développement. Ses conséquences sont désastreuses sur le plan économique, social, politique et institutionnel.
I.4.1 Au plan économique
La corruption :
— freine la croissance économique et décourage l’investissement direct.Elle mine les activités, l’intégrité et l’efficacité du secteur privé et de l’économie en général. Les distorsions résultant de la corruption se traduisent par une réduction des investissements productifs, un alourdissement des coûts de production, une faible croissance économique et un étouffement du développement ;
— représente une menace permanente de perturbation et de déstabilisation des choix stratégiques, des mécanismes et des instruments de régulation et de gestion de l’économie. Elle encourage les investissements improductifs et entraîne une cherté de biens et services et une diminution de la qualité des services et des productions ;
— Crée une déperdition des recettes de l’État et réduit les dépenses publiques et par voie de conséquence les capacités d’intervention de l’Etat notamment en faveur des couches vulnérables.
I.4.2 Au plan social
Au plan social, les conséquences de la corruption sont également pernicieuses. La corruption désorganise les facteurs de stabilité et de cohésion sociale. En effet, elle encourage les pratiques discriminatoires dans l’accès aux services sociaux de base (éducation, santé, hydraulique, assainissement, accès à un habitat décent, sécurité alimentaire, etc.). Elle entraîne une rupture d’égalité entre citoyens dans l’accès aux services judiciaires et favorise l’instauration d’une culture d’impunité. Cette situation décrédibilise la justice et incite les populations à recourir à la justice privée, entraînant ainsi une menace permanente sur la paix civile et la stabilité politique.
I.4.3 Au plan politique et institutionnel
Dans le contexte de rareté des ressources qui caractérise le pays comme le Niger, la conquête du pouvoir politique représente un terreau favorable aux pratiques corruptives. De même, l’exercice du pouvoir est une opportunité de déploiement des stratégies d’enrichissement rapide par le biais de la corruption et des autres pratiques assimilées.
Ainsi, la corruption détruit la légitimité des dirigeants politiques, désorganise les structures étatiques, compromet l’efficacité et la crédibilité des institutions publiques et rend la justice inopérante. La corruption porte atteinte aux droits de l’hommeen compromettantles libertés et les droits fondamentaux de la personne. Elle enferme le gouvernement dans un cercle vicieux où il perd son autorité et son aptitude à gouverner pour le bien – être collectif.
Enfin, la corruption affecte la crédibilité et l’image internationale du pays.
I.5 Quelques défis majeurs de la lutte contre la corruption
Malgré les différentes insuffisances, conduisant à la corruption, relevées ci – dessus, il convient de rappeler qu’au Niger, il existe plusieurs facteurs favorables à la lutte anti – corruptive. Au titre de ces facteurs, on note l’émergence d’une volonté politique ayant conduit la mise en place d’institutions et de mécanismes de lutte contre la corruption et pour la promotion de la bonne gouvernance ; l’existence d’une opinion publique plus ou moins forte contre les pratiques corruptives, à travers les médias et certaines organisations de la société civile, notamment qui sont issues du processus démocratique engagé au Niger au lendemain de la Conférence Nationale Souveraine.
Cependant, plusieurs défis sont à relever, au nombre desquels :
— la pérennité des mécanismes de lutte contre la corruption à l’échelle nationale qui permette une participation continue de toutes les composantes sociales du pays. Cela est d’autant important qu’il conditionne l’efficacité des stratégies anti – corruptives ;
—l’intégration effective de la dimension de ‘’prévention’’ en matière de lutte contre la corruption afin de favoriser le changement de comportements anti – corruptifs au sein de la société nigérienne dans sa diversité ;
— la prise en compte du caractère inclusif dans la lutte contre la corruption. En effet, pour qu’elle soit efficace, la lutte contre la corruption doit être perçue, conçue et mise en œuvre de manière participative et transversale aux différents secteurs qui composent le système de gouvernance des politiques publiques de développement du Niger ; — les reformes de politiques publiques visant la modernisation de l’Etat, comme socle important dans la promotion des comportements appropriés anti – corruptifs, mais également la promotion des dispositifs opérationnels de surveillance, de contrôle, de suivi et d’évaluation permettant d’améliorer la redevabilité, la transparence et l’intégrité, dans les systèmes publics de gouvernance ;
—La mise en place d’un dispositif de suivi et d’évaluation efficace, qui est de nature à supporter les processus décisionnels en matière de lutte contre la corruption. Un tel dispositif permet, en outre, une meilleure capitalisation des acquis et des expériences mais aussi, la consolidation des bases institutionnelles afin de pérenniser les progrès accomplis en matière de lutte contre la corruption au Niger ; — La coordination des actions de lutte contre la corruption. En effet, les questions de la mise en œuvre, du suivi et d’évaluation appellent celles de la coordination des actions au niveau national et international. Ces fonctions sont importantes et doivent être considérées aussi bien au plan stratégique qu’au plan opérationnel ; — La mise en place d’un dispositif de communication adapté afin d’impulser une dynamique de changements basée sur une approche visant davantage la prévention comme l’une des stratégies cardinales de lutte contre la corruption ; —La recherche d’une meilleure adéquation entre les missions, les objectifs et les capacités de la lutte contre la corruption. En effet, les statuts et les prérogatives des organes de lutte contre la corruption, la qualité des ressources humaines et des moyens matériels et financiers mis à leur disposition constituent des conditions incompressibles d’efficacité dans la lutte contre la corruption.
Pour relever l’ensemble de ces défis, les reformes de politiques publiques visant la modernisation de l’État, constituent entre autres des socles importants pour la promotion des comportements anti – corruptifs, mais également pour la promotion des dispositifs opérationnels de surveillance, de contrôle, de suivi et d’évaluation permettant d’améliorer l’intégrité, la transparence et l’exercice de reddition des comptes des systèmes publics de gouvernance.